AB : Le mag 02 du 15 juillet 2018

AB : LE MAG 02 du 15 juillet 2018



paraît le 15 de chaque mois
abonnement gratuit web sur demande :
lordan46@gmail.com
Notre site et boutique en ligne :
www.bernardiennes.be
contact :
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manuscrits :
manuscrits@bernardiennes.be

NOS AUTEURS

Barbara Y. FLAMAND          * Alain MAGEROTTE                         * Georges ROLAND
Ghislaine RENARD               * Bernard GODEFROID                       * Marcel GHIGNY
Geneviève ROUSSEAU        * J-J DE GHEYNDT                             * Claude COLSON
Viviane DECUYPERE          * J-M MASSART                                  * Pascal WEBER
Damienne LECAT                 * Ron DORLAN                                    * Gaëtan FAUCER
Gh. DESCHUYTENEER      * VOUS ?

À ce jour, les Associations Bernardiennes comptent 45 titres à leur catalogue.
Ouvrages de fiction (nouvelles, romans), essais, théâtre et poésie.

ÉDITO                                                                                 

 Bonnes vacances !
Plus que jamais, nos auteurs vont prendre le temps d'écrire. À leur fenêtre, leur terrasse, ou plus loin, à l'ombre des cocotiers et sous le bruissement de l'océan.
Les claviers souffrent sous les doigts fébriles. Ils n'écrivent pas pour eux, ils le font pour être lus, pour partager leur ressenti, leurs rêves, entre êtres humains.
Croyez-moi, ce magazine n'est en rien un organe d'auto-satisfaction et de complaisance. Si les titres présentés font partie de notre groupe, c'est que nous les avons lus et estimé qu'ils en valent la peine. Dans toutes les disciplines, roman, nouvelle, poésie, théâtre, essai, fiction, drame, humour, recherche, la littérature - grave ou légère - est un maillon inaltérable de notre existence à tous. C'est à vous, lecteur, d'assurer sa pérennité.                                                         
Dès septembre, ils seront là, tous ces auteurs, pour vous présenter leurs titres. N'allez surtout pas croire que seules les bulles gonflées artificiellement par les grands éditeurs sont dignes de votre confiance. Il y a des perles dans cette littérature négligée par ces messieurs. Nous vous aidons à les découvrir.
Lors des salons, venez parler avec les auteurs, apprenez à connaître ce qui les motive ;  ils en seront tellement heureux.
Georges ROLAND


J'ai aimé


LA RÉCONCILIATION

un roman de Jean-Michel MASSART 


Un amateur d’art premier donne du sens à sa collection de masques et de statuettes tribales. Il se souvient d’un jeune garçon au fond de la forêt tropicale. Un petit blanc se construit d’une mosaïque de culture d’Afrique Centrale et d’éducation européenne. L’articulation d’une immersion dans une nature puissante et noble et de concepts cognitifs abstraits forme son imagination. Des séjours dans sa famille en Belgique éclairent le paysage. Un déménagement à la capitale du Congo ouvre l’horizon. Il observe. Il engrange. Il rêve. Il vit le présent. Il désire. Il forge ses racines. Il prépare son devenir.
Le jeune homme quitte définitivement ses années ensoleillées pour l’inquiétante métropole. Comment va-t-il s’intégrer en pays étranger ? À quoi s’accrocher en terre inconnue?                                                                    

Après « Traces de vie », un récit paru en 2013, Jean-Michel Massart nous livre un roman poignant, ressenti comme une cicatrice. Né au Congo Belge, son héros ne parvient pas à
assimiler ce monde nouveau de la métropole et son univers se peuple de souvenirs.                                                       
Un cri de détresse vers un paradis perdu, avec une lancinante impression de rejet dans une société inconnue et pourtant si proche. 

C'est la sincérité du propos, le ressenti honnête teinté de la pureté de l'adolescence, qui frappe d'abord le lecteur. Cette plongée dans le passé récent et douloureux d'un enfant né sous le soleil, cette intimité avec ses élans et ses doutes, n'ont en aucun cas la surcharge pathétique que l'on peut redouter dans un tel récit. Tout y est retenue, douceur et passion en même temps. La pudeur est omniprésente, dans sa juste mesure. Pas d'excès, pas de revendication, le titre nous l'annonce: la réconciliation.
Jean-Michel Massart a réussi l'exploit de nous faire vivre "en temps réel" l'épopée d'un petit Belge trop heureux dans son exil pour comprendre que son destin se trouvait loin de là.
Chez lui, dans son pays, paradoxalement.
                                            
                                 Georges ROLAND

ISBN 978-2-930738-32-1
176 pages
 Ce roman a été nominé au salon Mons Livre en 2017
disponible sur commande dans toute librairie et sur notre boutique en ligne
www.bernardiennes.be


PROCHAIN "J'AI AIMÉ" :



 Dix-sept photos plus tard

        un roman de  Geneviève ROUSSEAU
 
Un roman inspiré, dans une Bretagne idyllique, la quête d'un Graâl familial inattendu.

ISBN 978-2-930738-33-8
290 pages

 LE BILLET D'HUMEUR D'ALAIN MAGEROTTE

TOUT À L'ÉGO

Je ne voudrais pas refroidir les enthousiasmes, mais est-ce vraiment difficile d'être édité
aujourd'hui ? Car le constat est implacable : presque tout le monde écrit, à croire que la planète entière  écrit ! Allô ! Y a t-il encore des lecteurs sur la terre ? Et les maisons d'édition savent-elles suivre ?
 Ne vous tracassez pas pour elles, « il fera noir là où elles se perdront » aurait dit ma grand-mère...  bravo mémé, t'as tout compris ! Jugez plutôt...                                          
La maison d'édition à compte d'auteur vous avait promis une réponse dans un mois au plus tard et voilà qu'après deux semaines, vous recevez une lettre qui vous transporte de joie : "Votre manuscrit est accepté"!                                                  
Vous lisez, lisez et relisez la lettre, non vous ne rêvez pas, vous avez bien décroché la timbale et vous allez donc jouer dans la cour des grands ; Amélie Nothomb, Éric-Emmanuel Schmitt et consorts, faites-moi une place au soleil, j'arrive!              
Enthousiaste autant que vous (mais pour des raisons différentes), l'éditeur, en homme d'affaires avisé, vous rappelle le deal : il vous faut à présent mettre la main au portefeuille pour en extraire 25.000 boules correspondant à une centaine d'exemplaires de votre œuvre qu'il vous expédiera par colis postal.                                  
Ensuite ?... Et bien la suite est aussi claire que la célèbre ligne d'Hergé : on vous laissera tomber comme une vieille chaussette ! Le citron est pressé, on peut le jeter, il n'y a plus de jus... de chaussette ! (Bof !)                       
Et les royalties dans tout ça ?... Nada ! Car les exemplaires que vous achetez n'entrent pas en considération...
Je vous rassure, comme Jef, vous n'êtes pas tout seul ! De nombreux auteurs se font gruger ainsi.
L'étape suivante consiste à participer à quelques manifestations littéraires afin d'écouler votre stock... car il encombre "méchamment" la cave, il n'y a presque plus de place pour caser le pinard !                                                      
Heureusement, les Foires de « l'Ego » ou les Salons du « M'as-tu vu » ne manquent pas. Il n'y a que l'embarras du choix !    
Vous voilà parti la fleur au fusil, impatient de prendre contact avec la « célébrité » et de rencontrer vos collègues de plume qui, bien sûr, vous accueilleront à bras ouverts.                                                                              
Et là, vous vous apercevez bien vite que s'il y a bien un domaine où la parité homme/femme est strictement respectée, c'est celui de l'égo dans la littérature ! Oh, la mauvaise langue !... Et pourtant, je n'invente rien, c'est du vécu !
L'îvre du moi ne s'intéresse qu'à ce qu'il fait ou ce qu'il dit, n'écoutant que d'une oreille à la fois condescendante et distraite ce que son ou sa collègue de plume raconte. Oh, dans le tas, il y en a bien un(e) qui fera semblant de prêter une oreille attentive mais pas trop longtemps (si ça "dure" comme on dit, il évoquera un besoin pressant ou une envie irrésistible de se sustenter), un autre vous coupera la parole sans vergogne pour tout ramener à sa sérénissime splendeur.
Maintenant, un courrier semblable en provenance d'une maison à compte d'éditeur changera-t-il la donne ? Que nenni... bien sûr, vous ne devrez pas mettre la main à la poche pour vous coltiner 100 exemplaires de votre "bébé" mais... faudra quand même en commander si vous voulez en vendre sur les stands. Des exemplaires par-ci, par-là... et, in fine, ce compte d'éditeur ressemblera fort à un compte d'auteur à peine déguisé!                                                                                           
Et les royalties dans tout ça ?... Désolé, mais pour des ventes inférieures à un nombre requis et spécifié, nada !...
Cependant, ami(e)s auteur(e)s, si vous ne vendez rien ou si peu sur les salons, ne désespérez pas... songez à la célébrité qui vous attend une fois mort(e)... Vincent Van Gogh est un exemple pour tout artiste quel que soit l'art embrassé. Il n'a vendu qu'un tableau de son vivant... mais quelle gloire posthume !                                                 

Pour en revenir au tout à l'égo... et bien, je vous le recommande !... ???... Oui, et même chaleureusement, car... "Tout à l'égo", c'est avant tout et surtout un excellent recueil de nouvelles de Tonino Benacquista:
Un homme tout juste sorti du coma qui reçoit de l'infirmière qui l'a veillé la transcription de ses secrets les plus enfouis, de son passé le plus perdu. Un type qui veut être enterré près d'un bordel. Des histoires de couples, de magnétoscope et de pétition. Des rencontres qui ne se feront jamais, des rencontres qui se feront tout de même. La solitude d'un surdoué de neuf ans.
Dix nouvelles succulentes, à l'ironie douce-amère, au style léger et aux intrigues à pirouettes. Bref, un bijou d'humour noir !



C'EST EN LISANT LEURS ÉCRITS QUE VOUS NOUS AIDEREZ À SOUTENIR LES AUTEURS INDÉPENDANTS, ILS EN VALENT LA PEINE.
S'ILS SONT SOUVENT MÉCONNUS, ILS N'EN MANQUENT PAS MOINS DE TALENT.


MAIS QUI EST DONC GENEVIÈVE ROUSSEAU ?

Sa bio

Née à Liège et y demeurant toujours, Geneviève Rousseau collabore depuis une quinzaine
d’années avec les Editions Averbode, qui publient très régulièrement ses récits et dossiers pédagogiques. Elle a donc la chance d’avoir fait de son rêve, son métier. Ou d’exercer un métier de rêve, au choix. Depuis quelques années, elle s'est lancée dans l’écriture de fiction. Dix-sept photos plus tard est son deuxième roman paru sous le label Associations Bernardiennes. En 2018, elle publie toujours avec les Associations Bernardiennes, son roman "La fille de Nicolas" auquel nous consacrerons un article spécial dans une prochaine édition.
Geneviève Rousseau est aussi photographe et éprise des paysages de Bretagne.
La couverture de "Dix-sept photos plus tard" est le reflet de son talent.

sa biblio chez Associations bernardiennes

Mots choisis                           ISBN 978-2-930738-12-3              256 pages
Dix-sept photos plus tard       ISBN 978-2-930738-33-8              290 pages
La fille de Nicolas                  ISBN 978-2-930738-57-4              314 pages


EXTRAIT DE "LA FILLE DE NICOLAS"

Prologue
Mardi 28 juillet 2015
Marie et Nicolas. J’y croyais, le jour où j’ai tracé ces deux prénoms. Ma main tremblait sous le coup de l’émotion. Le M est hésitant, la pointe du A a buté sur un nœud du bois, le R est ventripotent à l’extrême, le I rachitique et le E pique du nez. Les lettres de Nicolas se chevauchent, comme si le S final avait freiné d’un coup et que les précédentes étaient venues s’y encastrer en se bousculant l’une l’autre. J’y croyais tellement, mais cela aurait été trop simple, bien trop facile que l’histoire s’achève ainsi, avec un point final bien net et des réponses à toutes mes questions.
J’ai en tête l’image d’un vieux dessin animé que je regardais avec maman : le Mickey apprenti sorcier de Fantasia débordé par ce balai auquel il a donné vie et qui n’interrompt jamais la tâche de porteur d’eau qui lui est confiée. Et lorsque, en désespoir de cause, la souris fragmente son serviteur improvisé à coups de hache, de chaque éclat de bois renaît un balai portant lui aussi deux seaux. Je retenais ma respiration devant le désastre imminent. Cela me fichait la trouille, je plaçais la main de maman devant mes yeux et j'observais l’inondation inévitable par les interstices de ses doigts. L’arrivée du magicien mettant un terme au désordre ne suffisait pas à dissiper mon malaise, tant le regard qu’il lançait à son pauvre apprenti était rempli de sévérité. La musique entêtante tournait ensuite en boucle dans mon esprit pendant plusieurs heures. Impossible de m’en souvenir aujourd’hui. Juste l’impression étrange que les balais sont remplacés par des points d’interrogation qui dansent, moqueurs, devant mes yeux.
Les fleurs que j’avais coupées sont fanées. Au pied de la croix ne reste qu’un petit tas séché pitoyable, autour duquel flotte l’élastique à cheveux qui m’avait servi à les maintenir ensemble.
Leurs couleurs vives ont disparu. Le jaune lumineux, le fuchsia profond, le bleu apaisant ont laissé place à une nuance uniforme oscillant entre vert grisâtre et brun terne. Dix-neuf jours. Ma main tremble aujourd’hui aussi, la douleur est vive lorsque j’essaie de plier les doigts. Mes mâchoires se contractent tandis que le canif barre les lettres d’un trait malhabile. Exit Nicolas. Jamais un prénom masculin n’était passé aussi brièvement dans mon existence. Marie restera seule sur le bras gauche de la croix. Ça n’a pas de sens, ce que je viens d’apprendre ne change rien à ce qui s’est passé ici. Pourtant, ça change tout. Les fleurs fanées atterrissent dans le fossé avec un léger bruit de feuilles froissées, l’élastique revient autour de mon poignet dans un claquement sec. Lorsque la frustration est trop grande, il arrive qu’on trouve un soulagement dans les petites douleurs idiotes du quotidien. Il reste quelques cheveux coincés, entortillés, dont le rose vif tranche avec le noir de l’élastique. Je n’en peux plus de cette couleur ridicule. Il faudra que j’arrange ça. Mais là, tout de suite, cela m’importe peu. Là, tout de suite, je me bats contre une armée de questions et le seul qui pourrait y répondre ne prend pas mes appels. Courage, fuyons.


LA DIVERSITÉ CHEZ BERNARDIENNES

Nos auteurs évoluent dans toutes les disciplines de l'écriture. De la poésie à l'essai, du roman à la nouvelle, du théâtre au texte contraint. De la défense de la langue française à celle de dialectes (presque) oubliés.
Toujours dans un souci de précision, de pureté d'expression et de respect des normes typographiques, ainsi que stipulé dans la Charte Bernardiennes.

Nous inaugurons ici le pavé consacré à cette diversité, avec un texte contraint de Pascal WEBER:

     Je ne suis pas contre l’idée              
     d’être décapité

     Je ne suis pas contre l’idée                           

     d’être émasculé

     Je ne suis pas contre l’idée
     d’écrire une histoire, ou un poème,
     sans queue ni tête

     Je ne suis pas contre l’idée
     de devenir un historien

     Je ne suis pas contre l’idée
     de devenir un poète


Titres ce Pascal WEBER chez Bernardiennes








      
 ISBN 978-2-930738-50-5                                                             ISBN 978-2-930738-56-7
       132 pages                                                                                            150 pages


LE CLIN D'ŒIL D'UN KET DE BRUSSELLES

Parmi les succulentes recettes de ma Tante Gisèle de la rue St Ghislain, j'ai sélectionné pour vous quelques fleurons de la cuisine de terroir. En voici un :

LA BOMBE À L'AMÉRICAINE

Ingrédients :
4 GI Jo sans leur barbie,
450g de président entier mais fondant à la première dame, ne pas ajouter de Donald

faute de quoi cela tournerait
1 fusil-mitrailleur du second amendement bien fait (on contrôle en appuyant sur la détente, canon pointé vers l'ouest, si ça sent le Red Hawk suranné, il est parfait)
une pincée de fesse de cow-girl
un cou de girafe noire de l'Alabama bien frappé
une cannette de Coco Cala non oblitérée

Cuisiner comme pour le homard à l'armoricaine, mais pendant la préparation, se passer en boucle des marches de John Philip Sousa, si possible "Semper Fidelis" (disponible en MP3 sur CNN) en frappant fortement sur le piano (la gazinière pour les novices) avec une batte de base-ball.
En fin de plage, on peut dessiner un Walk of Fame sur les casques des GI Jo avec du ketchup des mocrates et de la salade raie publicaine. La bombe se termine par un débarquement de maïs grillé sur la moquette du salon en regardant un film avec Brute Gillis.
C'est délicieux mais doit être accompagné de beurre de cacahuète non dilué pour garantir la digestion.

Retrouvez les chroniques du Ket de Brusselles chaque mois dans le magazine "Bruxelles Culture", abonnement gratuit à demander à l'adresse pressculture4@gmail.com


Votre série bernardiennes...  

"Les Farfadettes" feuilleton par Georges ROLAND

ÉPISODE 2.  LE DOCTEUR FRIDOLIN 

Le docteur Fridolin était de ces gens qui ne voient pas le temps passer. Il se levait tard,
parce qu’il avait horreur de ce moment insupportable, où il faut quitter la douce chaleur
du lit. Cette espèce de mutation de l’état lymphatique au mouvement lui paraissait
inhumain. À la rigueur, il eût préféré ne pas se coucher du tout.
Il avait donc décidé de se faire éveiller chaque jour très tôt, vers quatre heures du matin,
pour avoir le plaisir de se retourner dans le lit, et de se rendormir. À cinq heures trente,
le réveil sonnait à nouveau, pour permettre au docteur de retrouver le sommeil. Ainsi de
suite, jusqu’à neuf heures. C’était une grande jubilation de pouvoir se dire :
— Pas encore. J’ai tout le temps. Je dors encore une heure.
Et de sombrer immédiatement dans le sommeil. Mais à neuf heures, il fallait se lever.
La mise en condition ayant bien fait son œuvre, c’était plus facile. Le docteur Fridolin sortait péniblement les jambes du lit, chaussait une paire de mules et se dirigeait vers la cuisine en se grattant une fesse à travers le coton du pyjama. J’utilise l’imparfait pour indiquer qu’il s’agissait d’un rite : c’était comme ça chaque jour, dimanche comme semaine. Après avoir mis l’eau à chauffer sur la gazinière, il partait vers la salle de bains. Il en ressortait lorsque l’eau bouillait, et se préparait un litre de café très fort. Un grand coup de fouet pour démarrer la journée. Les deux brioches achetées la veille attendaient sur la table, entre le beurre, la planchette et le grand bol. Là aussi le rite était indéfectible. Chaque geste était un automatisme : la mastication lente, la brioche trempée dans le café tiède. On était tout de même loin de la madeleine de Proust. Il s’agissait ici de prolonger l’état de somnolence le plus longtemps possible, jusqu’à user de la routine pour retarder le réveil. Après le petit déjeuner, il ouvrait les volets de la façade avant : les patients pouvaient accéder à la salle d'attente. Dimanche comme semaine, parce que le docteur ne faisait pas de différence : athée fervent et pratiquant, il n’avait que faire du jour du Seigneur.
— Comme s’il n’y avait pas de malades ce jour-là ! Je veux bien leur donner un certificat d’absence à la messe. Je considérerais ça comme une bonne action. C’est inconcevable, qu’un marchand de rêve embobine toute la population. Que ces pauvres bougres y croient, je peux l’admettre, ils ne connaissent rien de mieux. Le vrai péché, c’est d’exploiter leur crédulité.
Dans ses moments d’expansion, le docteur pouvait se lancer dans de longues diatribes philosophiques, dont n’était jamais absente la pensée d’Aristote et d’Épicure. On a pu le remarquer à son mode de vie, Fridolin avait pris ce dernier pour maître et ne se privait pas d’appliquer ses préceptes à la lettre.
Souvent, les longues digressions dont il agrémentait ses discours de maire du village volaient loin au-dessus des têtes de son auditoire. Pensez-vous : c’est comme s’il essayait d’enseigner la mécanique quantique à l’école primaire.
— Je vous garantis, mes amis, que depuis les Philosophes Antiques, on n’a plus rien inventé. On a perdu plus de deux mille ans d’évolution positive à cause de la pensée chrétienne. On s’est mis à croire à l’abstraction, nous, les animaux matérialistes. On s’est  imaginé l’irréel au point qu’il a fallu un jour lui donner un aspect : le nôtre. C’est ainsi que Dieu, l’Abstrait par excellence, a pris les traits d’un Zeus asexué, avec des Anges comme dieux subalternes, des saints comme Héros, des temples et toute la panoplie des Grecs. C’est grotesque. On s’imagine que l’Homme a fait évoluer la vie sur Terre : il ne fait pas plus que les autres animaux, il se prolonge dans sa routine naturelle. Sa pauvre petite intelligence lui a permis d’en varier la forme, mais la routine reste. Le plus grave, mes amis, le plus terrible, c’est qu’il ne se rend pas compte de son insignifiance. Cette petite lueur d’intelligence, ce petit plus par rapport aux autres animaux – et c’est encore à démontrer – lui a aussi communiqué la fatuité et l’aveuglement. La grenouille qui se gonfle ne veut pas se faire aussi grosse que le bœuf. Elle se gonfle, pour signaler qu’elle est dure à avaler, et qu’il faut une grande faim pour en arriver à bout. Peut-être l’autre n’a-t-il qu’une petite fringale, et l’épargnera. Nous, les hommes, c’est la vanité qui nous dilate.
C’était lors de ses grandes soirées au café du village, que le docteur trouvait dans l’ivresse la verve qui lui faisait défaut à jeun. Une grande partie de ses administrés arrivaient alors pour l’écouter. Personne ne comprenait vraiment, mais c’était agréable de l’entendre parler.
                                                                                                                                               (à suivre)


Associations bernardiennes asbl
www.bernardiennes.be
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rédacteur en chef: Georges Roland
lordan46@gmail.com

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